THOMAS DAKAYI KAMGA « LES ÉLITES NE MANIFESTENT PAS UN GRAND INTÉRÊT POUR LEUR LANGUE »
Monsieur Dakayi Kamga, Bonjour! Merci de nous accorder cette interview, avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et lectrices?
Je suis né à Bandja dans le Haut-Nkam Cameroun, le 06 décembre 1944. Je suis ingénieur de formation, diplômé dune grande École française (École Centrale de Paris). Dans ma carrière professionnelle, jai assumé de hautes fonctions dans les sociétés para-publiques Directeur Général Adjoint de la SONEL, Directeur Général de la Société Camerounaise de Sacheries, Administrateur Directeur Général de la CAMAIR- , dans lAdministration Centrale- Ministre des Travaux Publics- et dans une organisation internationale Secrétaire Général de lUDEAC, puis Secrétaire Exécutif de la CEMAC. Jai fondé et dirige depuis lan 2000 un Cabinet Conseil (DAKAYI MULTID Consulting) spécialisé dans les travaux publics, en particulier dans les études et la maîtrise d’uvre. Je suis depuis 2008, le Président du Directoire de lAssociation Culturelle NUFI, après avoir été longtemps Directeur Général Adjoint depuis lépoque de père fondateur, lAbbé François Marie TCHAMDA.
Vous êtes enseignant de langue Nufi, d’abord quelle est la différence entre le fé’efe’e et le Nufi?
A vrai dire, je nai jamais enseigné, car je nai pas pris des cours de pédagogie en la matière; mais jai écrit des ouvrages dont le “Bamiléké par la conversation la Grammaire pratique du Bamiléké feefee, etc. Feefee signifie ainsi-ainsi; ce terme a fini par désigner la langue. Nufi (textuellement”chose nouvelle) a dabord été un mouvement pour la promotion de la langue, de la culture et des traditions que véhicule le feefee.
Au-delà de la langue Nufi vise à faire accéder à la modernité même aux populations illettrées.
Êtes-vous organisés en association, si oui comment s’appelle t-elle?, pouvez-vous présenter votre structure?
Le Mouvement Nufi sest transformé en association culturelle Nufi pour se conformer à la loi de 1990 sur les associations. La structure de direction de lassociation comporte lAssemblée Générale, la Direction Générale, les Directions Régionales et les Centres. Loriginalité réside aujourdhui dans le fait quà la tête de la Direction Générale se trouve un Directoire de 3 membres; mais chaque membre soccupe en particulier dun domaine : 1- Développement de lassociation et Culture, 2- Administration, finances et communication, 3- enseignement, recherche et publications.
Le Nufi organise depuis des décennies des examens “kam” et “sa’sam” équivalents au CEPE et Brevet, quelles sont les matières au programme de ces examens?
Les épreuves portent sur la connaissance de la langue ( dictée, expression écrite et orale), les mathématiques, les sciences naturelles, lhygiène. Il est envisagé un troisième niveau qui vérifie la capacité à concevoir et rédiger une histoire, une thèse ! Il sappellera le Sandieu
Que peut faire un élève qui a un Kam ou Sa’sam comme métier?
Les diplômes Nufi ne donnent pas accès à un métier. Il sagit de former lhomme, en lui inculquant les valeurs traditionnelles et les connaissances modernes; Celui qui na pas de culture maternelle est un apatride. La nouvelle politique culturelle du Gouvernement va créer des milliers demplois denseignants dans les langues nationales . Les titulaires de nos diplômes auront un avantage sur les autres candidats. La demande se manifeste pour les lycées, CES et lenseignement privé et confessionnel.
Quels sont les établissements du Cameroun ou d’Afrique qui participent à ces examens?
On se prépare à ces examens dans les écoles NUFI. Il sagit de cours du soir privés. Nufi obtient gracieusement le droit dutiliser des locaux dans les écoles régulières et les apprenants sinscrivent. Nous organisons des cours de vacances. Certains apprenants aspirent uniquement à maitriser leur langue maternelle.
Peut-on estimer le nombre de personnes au Cameroun ou en Afrique qui parlent la langue Nufi?
Cette estimation est difficile. La population électorale du Haut-Nkam est denviron 48 000 personnes, on peut extrapoler la population totale à 120 000. Si on y ajoute les locuteurs extérieurs (Cameroun et diaspora), on peut avancer le chiffre de 250 à 300 000.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain pour la promotion de nos langues nationales telles que le Nufi, le Bamoun, le Duala’a, le Basa’a, le Ngomba’a, le Medumba, le Yemba, le Ewondo, le Bulu, le Tunen, le Mafa, le Fulfuldé, etc…?
Certaines populations préfèrent utiliser les langues officielles soit comme signe de leur émancipation, soit par paresse. Les élites ne manifestent pas un grand intérêt pour leur langue et leur culture (cette attitude est plus prononcée dans certaines régions). Les associations manquent de ressources financières. La politique de décentralisation et de développement culturel peut changer la donne, si les municipalités suivent les lois et décrets signés.
Question d’ordre culturel, quels sont les peuples, les zones d’Afrique qui s’expriment purement en langue Nufi?, y -a-t-il une parenté avec d’autres langues, ci oui lesquelles?
Le feefee est une langue locale qui fait partie de la famille des langues et de la culture Bamiléké. Un chercheur a démontré que cest la langue qui a le plus évolué à partir dune langue bamiléké souche.
Nufi publie depuis plus de 50 ans une petite revue en fe’efe’e, quels sont les thèmes traités dans cette revue? Et où peut-on s’en approprier?
NUFI Nsienkengwe est un organe dinformation et de formation. Au départ, la langue a servi à évangéliser dans le diocèse de Nkongsamba (linculturation avant le terme); On y trouve des éléments de connaissance de la langue, de lactualité politique et économique, des nouvelles locales (des villages), des nouvelles sur la marche de lassociation, des connaissances pratiques, etc. Il est rédigé par les lecteurs.
Quelle lecture faites- vous des cinquante ans d’indépendance à la lumière du système éducatif dans votre pays? Et de l’enseignement des langues nationales camerounaises?
Je ne peux porter un jugement sur le système éducatif en général. Le sujet est complexe. On dit que le niveau moyen a baissé; mais les effectifs ont aussi explosé. Le nombre duniversités saccroit constamment. Il y a du positif et du négatif.
Sagissant des langues nationales on les avait sacrifiées à lautel de lunité nationale ou de la modernité. Le réveil est tardif, mais il est là. Cependant le Département de linguistique fonctionne à lUniversité de Yaoundé depuis les années 1960, malgré vents et marées, avec une grande pénurie denseignants.
L’ANACLAC est l’abréviation de « Association Nationale des Comités de Langues Camerounaises », que devient cette association?
LAssociation continue à fonctionner; mais elle a perdu ses appuis extérieurs et par ses moyens sont réduits. Elle doit développer de nouveaux partenariats.
Pour ré-introduire l’enseignement de nos langues nationales dans le système scolaire, serait-il pensable de le faire comme dans les années 30, 40. Ces années là, l’enfant apprenait d’abord sa langue maternelle avant d’aller à l’école du Blanc?
Cest évident ! Les spécialistes affirment que les enfants qui maîtrisent leur langue maternelle progressent plus vite dans le primaire. On a commencé par lenseignement secondaire à titre expérimental; mais la réflexion pour lintroduction des langues dans lenseignement de base. La pénurie denseignants constituera un handicap. Cet ordre denseignement est transféré aux communes, de même que le développement des langue et de la culture. Espérons que les Maires leur donneront la place quelles méritent dans les budgets.
Un message aux camerounais(e)s à travers le monde!
Ces Camerounais savent que dans leurs milieux leur culture leur confère leur identité. Nous avons donc intérêt à préserver et promouvoir notre patrimoine culturel. Ils maîtrisent mieux les technologies modernes qui pourraient faciliter la réalisation de nos objectifs . Mettons donc nos énergies ensemble, pour léguer ces acquis à nos enfants.
Un appel aux différentes Élites politiques, universitaires, économiques, etc…!
Les Élites sont souvent conscients de limportance de la culture, mais ils sont trop absorbés ailleurs. Il est urgent quils simpliquent dans la sauvegarde de nos langues et de nos cultures; il ne suffira pas de léguer des biens matériels à nos enfants; les associations culturelles comme NUFI sont prêtent pour un partenariat bénéfique dans ce combat;
Pour terminer avez-vous un vu personnel?
Que dans la mouvance de l’État, les Communes donnent la place quil mérite au développement des langues et de la culture. Les propos ci-dessus nengagent pas lAssociation Culturelle Nufi
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