Portrait de Jean Mbouedeu, tout premier maire de la commune de Bafang
« Aux grands hommes, la nation reconnaissante. Je sais que les fils du HautNkam sont reconnaissants et tont élevé un monument, mais les valeurs que tu as défendues, pour lesquelles tu as souffert débordent le niveau départemental, régional et couvrent tout le Cameroun et je dirais toute lhumanité. Tu mérites une place au panthéon des valeurs de ce pays : cest le vu que je formule. »
Cet extrait du témoignage du Ministre Marcel YONDO lors des obsèques du patriarche résume à souhait limmensité de luvre de ce nationaliste. Il est donc important et nécessaire de faire revivre son parcours dans la mémoire collective des jeunes générations en mal de repères. En effet le patriarche Jean MBOUENDE est né à Badoumven dans le groupement Banka à louest du Cameroun au crépuscule des années 1890, dune famille paysanne. Non scolarisé, il commence sa vie active en 1920 comme garçon de maison à Dibombari dans lactuelle Région du Littoral Cameroun avant dêtre recruté en qualité de vendeur assistant en 1921 à la R.WKING à Douala. Devenu chauffeur chez le même employeur en 1926, il contracte son premier mariage la même année avec Marie EBOUTOU, originaire de Sangmélima dans le sud du Cameroun, affirmant très tôt et à une époque ou cela était inconcevable, son refus net du repli identitaire hélas encore tenace dans ce pays. Il pose ainsi dès son jeune âge sa vision intégrationniste de la vie à lintérieur dune nation. Ayant déjà étroitement intégré dans sa philosophie existentielle la notion du bien être et de qualité de vie, il construit en 1928 la première maison moderne de la Subdivision de Bafang. Répondant à lappel de la terre, il retourne au bercail, armé de sa voiture, la première de sa localité, pour créer en 1934 à Kwétchi dans le groupement Banka la première plantation de café robusta de sa Subdivision. En 1935, il est nommé accesseur au tribunal de consultation de Bafang. Il est élu la même année à la vice présidence de la coopérative des planteurs de la Subdivision de Bafang. Il se signale alors par ses prises de positions courageuses et osées contre les injustices des colons blancs et de leurs comparses africains, qui à lépoque naccordaient lexclusivité de la culture du café quà leurs suppôts (notables, chefs traditionnels etc.
). Toujours en 1935, guidé par son éternelle soif dexpansion, son flirt naissant avec lélevage des bovins, première entreprise du genre dans sa Subdivision, dénote déjà du caractère dun citoyen futé à qui le bon sens paysan avait déjà inculqué la notion économique de division des risques. En 1946, encouragé par Charles ASSALE, il crée le Syndicats des petits planteurs de la Subdivision de Bafang quil affilie à lUnion des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC) de Gaston DONNAT. De cette tribune, il élève le ton et connait ses premiers ennuis qui culminent avec son internement préventif à la prison centrale de Bafang du 1er Septembre 1947 au 15 Avril 1948. Cest dailleurs Maitre Blond, avocat venu de Paris et commis par le CGT (Confédération Générale de Travail) qui obtient son acquittement pur et simple. Frappé par son dynamisme syndical, UM NYOBE lencourage à créer le premier comité central de lUnion des Populations du Cameroun (UPC) de la région Bamiléké à Bafang : nous sommes en Juin 1948. Il devient la cible focale du pouvoir colonial qui en Mai 1955, organise le pillage et la destruction systématique de ses biens. Il ne doit la vie sauve quen se réfugiant durant cinq ans dans le « maquis » de ses exploitations agricoles à Kambo (Kékem) où il réussit à se creuser un lit à lintérieur dun tronc darbre. Ses détracteurs iront jusquà dire au pouvoir colonial, qui le recherchait mort ou vif, que chaque fois quon réussit à lapercevoir il se transforme en plant de café. Cest pour cette raison que le 15 Mai 1959, lAdministration coloniale réquisitionna huit camions remplis de militaires pour venir abattre les plants de café parce quelle était persuadée quen les abattant, mystiquement, elle réussirait à labattre. Mais en vain. Ses épouses sont alors arrêtées et expédiées dans un camp de concentration à Maroua Salack et cest grâce à Michel NJINE, Vice-Premier Ministre à lépoque quelles furent relâchées sept mois après. La ville de Kékem est créée parce quon le cherche. Cest assurément de sa volonté de donner goût, joie de vivre et saine émulation aux populations de Bafang quil tire le ressort pour créer en 1952 Tortue Football dont la fusion ultérieure avec Jupiter donnera naissance à Unisport, Club mythique du Haut- Nkam. Il sort de sa cachette après la proclamation de lindépendance et est reçu par le Président Ahmadou AHIDJO le 1er Juin 1960. Celui-ci pour mémoire, avait envoyé 300 soldats à Bafang pour ramener les gens en ville ; mais hélas ! Le Président lui confie donc cette tâche de pacification du Département du Haut-Nkam qui depuis 1956 était ravagé par une vague dactes terroristes entretenus par le pouvoir colonial pour diaboliser lUPC et ses leaders. Le travail est excellemment fait. Sans violence et usant de son entregent exceptionnel, il réussira là où les armes de la soldatesque ont échoué. Toujours en 1960, répondant à lappel de John NGU FONTCHA, il participe à la campagne pour la réunification des deux Cameroun (Occidental et Oriental). FCFA 650 000(six cent cinquante mille francs Cfa) sont collectés par ses soins dans lArrondissement de Bafang (devenu une année plus tard Département du Haut-Nkam) et remis à FONTCHA à cette fin. Il est élu premier Maire de la Commune de Plein Exercice de Bafang en Avril 1961, dénouement logique dun parcours conquérant. Aujourdhui encore, cette ville lui doit son visage urbanisé. Son ossature routière et le choix des sites de ses principales infrastructures sont lémanation du génie propre de Jean MBOUENDE. De ses démêlés avec le Préfet de lépoque, (voir autobiographie) du fait de son refus de compromission à diverses échelles dans la conduite des affaires communales, naît sa mise à lindex comme agitateur et coupable dactes attentatoires à la sécurité de lEtat. Cest sur ce fond de fausses accusations aggravées daffabulations politico-administratives aussi grossières et mensongères les unes que les autres quil a eu à réaliser de 1965 à 1970 son original parcours de combattant dans les geôles et pénitenciers alors les plus cyniques du territoire : BMM (Brigade Mixte Mobile) de Manengouba, Douala, Yaoundé et Centre de Rééducation Civique de Mantoum. Il a connu, suprême humiliation, le supplice de la balançoire à la BMM de Manengouba quil décrit dans son autobiographie avec une précision révoltante : « la balançoire était un instrument de torture particulièrement redouté. On vous y accrochait nu, pieds et poings liés. Le respect de la pudeur se limitait au slip que vous gardiez. De part et dautre de la balançoire, et à distance idoine, deux gendarmes baraqués se renvoyaient violemment le corps flottant de supplicié. Pris dans le tourbillon de la nasse étoilée que la vitesse du mouvement offrait à sa vue, ce dernier navait plus quà dire ce que lon voulait quil dise : cétait cynique ». En Juillet 1970, dans le cadre de laffaire OUANDIE, il est à nouveau arrêté et conduit à la BMM de Yaoundé où il est soumis au choc électrique.
Il est important de relever que chaque fois quil a été arrêté, les enquêtes nont jamais permis de retenir de charges contre lui. En 1999, il publie son autobiographie « POUR LA PATRIE, CONTRE LARBITRAIRE ». Lécrivain et patriarche Douala, Léopold MOUMIE ETIA dira de cette uvre : « Ce livre servira à coup sûr aux chercheurs du futur comme miroir de ce quétait : la honte de la colonisation ». Plusieurs fois sacré meilleur planteur et éleveur du Haut-Nkam, Jean MBOUENDE a bénéficié de plusieurs distinctions honorifiques :
- Mérite Camerounais de deuxième classe en 1960 ;
- Chevalier de lOrdre de la Valeur Camerounaise en 1965;
- Officier de lOrdre de la valeur Camerounaise en 1986.
Le journaliste Guy Roger EBAA, du podium de la célèbre émission de la CRTV « LES FIGURES DE LHISTOIRE » conclura : « Jean MBOUENDE a aimé le Cameroun… et ils ne sont pas nombreux aujourdhui les Camerounais qui sont prêts à tout perdre pour leur pays
». Au soir de sa vie, comme lapôtre Paul à Timothée, « Pour moi, voici que je suis déjà offert en libation et le temps de mon départ est arrivé. Jai combattu le bon combat, jai achevé ma course, jai gardé la fois » 2 Timothée : 4-6-7, le patriarche se confiait à une équipe du magasine le « nzingu » venue linterviewer une semaine avant sa mort. Répondant à la question : « au soir de votre vie, avez-vous peur de la mort ? » il dit : « non, je suis prêt. Je suis même impatient, mais comme cela ne dépend pas de moi
beaucoup de gens dans le cours de ma vie ont cherché à me liquider sans réussir. A lheure de Dieu, quelle appréhension voulez-vous que je cultive encore ? Non mes enfants, je suis serein, dautant plus quau fur et à mesure où lheure approche, comme un seul homme, mes enfants accourent vers moi pour me soutenir. Vous avez vu un monument en construction à lentrée de chez moi. Cest des jeunes comme vous (Cercles des Elites Intérieures du Haut-Nkam) qui lérigent. Cest sans doute ma dernière distinction honorifique et je suis heureux quil me soit offert en ultime hommage par des jeunes. Aujourdhui, cest vous du « nzingu » qui me rendez visite, que demander de plus à Dieu ? Je tire ma révérence dans une très grande tranquillité desprit. Le moral est au beau fixe. Dieu ma beaucoup aimé ». Parole dhomme, dun homme à part qui a tenu à apposer ses dernières signatures sur toutes les invitations quil a adressées à ses hôtes de 07 Août 2004, invitations quil a accompagnées chaque fois que cela était possible dune branche darbre de paix comme pour sceller la paix avec tous les hommes de bonne volonté. Aux jeunes, héritiers et légataires des dernières pensées de Jean MBOUENDE, il appartient de tirer le meilleur parti possible de la vie exemplaire de lillustre disparu. Pour leur propre bonheur. Pour que force reste aux hommes de conviction et de foi pour le triomphe de la juste cause et de la cause du juste. « Ouvrez tous les volets de la chambre, y compris de la salle de bain
» : Ces dernières paroles de vie, Jean MBOUENDE les prononce dans son lit, à son domicile cet après- midi du 16 Juillet 2004. Un jour plus tôt, de son lit dhôpital et malgré toute lattention médicale dont il est lobjet, il demande à être ramené chez lui. Lon sait dailleurs que cest à son corps défendant et davantage pour rehausser le moral de quelques uns de ses enfants préoccupés, quil a accepté un ultime séjour dans un établissement hospitalier : « pour pas plus de 48heures » avait-il alors précisé. Cest lui-même qui rappelle une fois ce délai atteint quil est temps de rentrer à la maison. Les intimes de Jean MBOUENDE savent que cette exigence du patriarche est prémonitoire et vise à assurer la réalisation de sa prophétie relative à la fin de sa vie : « je mourrai chez moi et sur mon lit, avait-il lhabitude de dire. Je souhaite que Dieu me donne cette grâce ». Cette grâce, Jean MBOUENDE la eue le Vendredi 16 Juillet 2004 à 18heures précises. Sans agitation. Dans la sérénité et la tranquillité. Cest en ce moment là que nous qui lavions intimement connu, avons alors tenté de décrypter ses dernières paroles et leurs charges symboliques : « ouvrez tous les volets de la chambre
». Ceci aurait pu exprimer que lhomme éprouvait le besoin dune plus grande oxygénation. Il aurait aussi pu indiquer quil avait chaud et se serait satisfait dun grand bol dair. Aucune de ces hypothèses ne résiste à lanalyse car, outre que sa chambre est suffisamment aérée, la température ambiante à Bafang à ce virage crépusculaire dune journée de saison pluvieuse invite plutôt à se mettre au chaud. Il ne reste alors que lhypothèse la plus probable : ouvrir largement les volets pour que son esprit séchappe, senvole vers lissue de son choix. Cette option est corroborée par la main et le petit doigt levés peu de temps avant son dernier soupir en réponse à son interlocuteur Jean Paul WOTADJI alors Président du Cercle des Elites Intérieures du Haut-Nkam, qui linterpelle, voulant alors dire : « ça y est, je nen peux plus, adieu » Ainsi se sont déroulés les derniers instants sur terre de Jean MBOUENDE, crédité de 114 ans quand sonne le glas de sa vie. Il est important de relever qu’il aura ainsi vécu sur trois siècles et deux millénaires: Privilège de la providence accordé à peu d’Hommes dans une génération .
Il était chrétien catholique, et le prémier à devenir polygame à Bafang. Il sest marié de 13 femmes, a laissé 5 veuves, 29 enfants, 90 petits-fils et 80 arrière petits-fils. Le 07 Aout 2004, il a eu droit aux obsèques officielles décidées par la Haute Sagesse de la République, devenant ainsi lun des premiers nationalistes camerounais morts sur leur lit à recevoir cet honneur. Ces cérémonies étaient présidées par Monsieur Raphael EWECK, Préfet du département du Haut-Nkam et porteur du message de condoléances du Chef de LEtat, Son Excellence Monsieur Paul BIYA dans lequel il a mis en exergue les qualités de patriote et de loyaliste de lillustre disparu. Il a en outre été élevé à la dignité de Grand Commandeur du Mérite Camerounais à titre posthume. Que ce patriarche ait été décoré à titre posthume, que la famille ait eu droit à un message de condoléances du Président Paul BIYA lui-même, que les cadres des partis politiques de divers horizons, les autorités traditionnelles et religieuses, les opérateurs économiques de tout bord, de nombreuses associations et une foule nombreuse aient honoré de leur présence effective les cérémonies, que le Cercle des Elites Intérieures du Haut-Nkam ait érigé un monument à son honneur, tout cela témoigne à suffisance de la dimension de lhomme et de son uvre. Cest le message quil laisse à la postérité, lui qui avait toujours eu une pensée profonde pour la jeunesse : « nul nemportera le monde avec soi, mais ceux qui se soucient de lhumanité doivent avoir peur dune postérité médiocre ». Tout un programme.
Clément WENSILEUDJAM MBOUENDEU
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